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En attendant Jean...
(un clin d'oeil à ceux et celles qui éprouvent une passion pour l'Éducation des adultes, ainsi qu'à mes collègues de la TNE).
Jean m'avait donné rendez-vous au bar de l'hôtel pour y prendre l'APO avant le dîner. Jean, c'est bien connu, est un homme ponctuel, jamais en retard, ou très peu. Pour ma part, je sortais d'un atelier de Richard Lavallée : j'avais donc beaucoup de temps devant moi. Alors, en attendant, j'ai commandé un APO. Je me plaisais à regarder passer les participants qui sortaient de la salle d'exposition, les bras chargés de feuillets publicitaires qui les feraient rêver à tout ce que leur commission scolaire pourrait leur fournir comme matériel d'appoint pour nourrir leur enseignement.
Vieux rêveur nostalgique, je pensais qu'il serait intéressant que l'ÉAD (Équipe d'aide au développement pédagogique), intervienne de façon massive pour soutenir les commissions scolaires qui désirent implanter les nouvelles technologies pour aider l'apprentissage des adultes, comme elle le fit dans les années '70 pour l'implantation de l'enseignement individualisé. Mais, évidemment, l'ÉAD n'existe plus depuis le début des années '80. Sans doute, la DGEA (Direction générale de l'Éducation des adultes), voyant l'engouement des formateurs (pardon, des enseignants, dans la convention collective, i l n'y a que des enseignants !) pour ce moyen d'apprentissage si puissant et de qui il est permis de tout attendre, interviendra par l'entremise du SOE (Service de l'organisation de l'enseignement) pour le perfectionnement des intervenants et l'organisation d'ateliers conséquents. Mais, il n'y a plus de DGEA, ni de SOE... Triste, je me suis commandé un deuxième APO, toujours en attendant Jean.
Je pensais à l'exposé que venait de nous faire le petit Lavallée et je me disais que nos programmes seraient bien servis par le multi-média et que de cette façon, les apprentissages des grandes personnes correspondraient exactement à la vraie vie dans laquelle ils sont plongés; après tout, l'école, ce n'est pas leur métier et leur retour dans un centre de formation n'existe que sur une base ponctuelle et circonscrite dans le temps, le temps de se recycler, d'acquérir les bases manquantes pour retourner à leur emploi ou apprendre un nouveau métier. J'avais oublié, l'espace d'une gorgée, que depuis les années '80, on avait procédé à l'harmonisation des programmes et que les adultes, malgré les difficultés rencontrées à l'école primale , devraient reprendre un cheminement identique pour être d'honnêtes citoyens. Oh là, que je me suis dit, c'est Lise Pétroziello qui a du développement à faire pour bien des années. Alors, je me suis commandé un autre APO parce que Jean n'était toujours pas arrivé...
Je me suis dit qu'il était heureux que Raymond Bélanger ait crié très fort à la TRÉAQ pour qu'il y ait un régime pédagogique spécifique à l'Éducation des adultes, formation générale et formation professionnelle confondues. Malheureusement, 1989 nous a apporté deux régimes pédagogiques : un en formation professionnelle (la retirant ainsi de l'éducation des adultes) et un en formation générale (rendez mon article 47 semblable aux jeunes). On veut le bien des adultes et on l'aura ! J'ai commandé un autre APO, Jean n'étant toujours pas arrivé.
Dieu merci, la jeune Maryse Lacasse qui passait par là vint m'entretenir du rapport de la CEFA (Commission d'enquête sur la formation des adultes, 1982) qu'elle venait de découvrir et qui lui paraissait monumental quant à la dimension spécifique qu'il reconnaissait à la formation des adultes : ne pas refaire un enseignement qui n'a pas marché une première fois et répondre aux besoins des grandes personnes plutôt que de les éveiller à l'ensemble des connaissances comme on le fait avec les enfants et les adolescents. Elle était très pressée la Maryse, parce qu'elle voulait terminer le bouquin avant de reprendre la route ou le golf. Le rapport de la CÉFA a été oublié. Qui en a encore une copie dans sa bibliothèque ? Ce n'est pas seulement le rapport de la Commission Jean qui avait été oublié, Jean lui-même m'avait peut-être oublié; alors j'ai décidé de me commander un autre APO.
À la première gorgée, je me suis souvenu de la conversation téléphonique que j'avais eue, la semaine précédente avec Jean-Jacques Simard. Pauvre homme. Pas encore séché de son inondation, il se demandait bien comment allier l'ouverture aux sciences physiques du nouveau programme du ministère de l'Éducation avec les orientations économiques que ce même ministère mettait de l'avant avec la signature de l'entente Harel-Marois. L'Education des adultes prend désormais l'orientation du plus court chemin entre deux points en exploitant les volets du régime pédagogique qui conduisent en emploi le plus rapidement possible. Si les personnes veulent en savoir davantage, elles reviendront au centre, sur une base personnelle (ce qui n'est pas évident !), mais non référée par les organismes partenaires habituels. Il est vrai qu'il y a remaniement de tout cela avec la réforme Chevrette et que, déficit national aidant, l'économie passe bien avant la formation. Cela pourrait bien expliquer pourquoi Clément Bernier s'est mis au régime des petites crevettes de Matane : l'enveloppe ouverte, l'enveloppe fermée, les contrôles de présence des élèves faisant fi des projets éducatifs des centres, la cinquième journée d'absence, les formulaires à signer, les horaires à conserver, le temps partiel, l'enveloppe de la formation à distance multipliée par les compressions budgétaires et divisée par les coupures, sauf pour les 16-18 ans qui viennent perturber la vie de centre, en oubliant l'éducation populaire qui demeure inscrite au régime pédagogique mais qui n'est plus financée moins l'alphabétisation qui est remise aux groupes populaires sauf celle que l'on conserve dans les commissions scolaires avec des ratio qui découragent l'organisation des groupes, les formateurs et les élèves eux-mêmes... Pauvre Clément... il fait bien de s'en tenir aux fruits de mer. Les larmes aux yeux devant tant de problèmes de gestion, je me suis encore commandé un APO, parce que Jean tardait à arriver.
Faut-il que l'Éducation des adultes soit réduite et banalisée à ce point que dans certaines commissions scolaires on abolisse le service parce que celui de l'enseignement des jeunes peut très bien pourvoir à tout type de clientèle ! Fait-on fi de toute une partie de la population ? De l'expertise développée depuis des années ? Croit-on vraiment qu'en redonnant le même menu à une clientèle qui a échoué une première fois, elle réussira la seconde fois, alors que l'échec scolaire a déjà tracé sa marque, alors que les difficultés de la vie se sont déjà implantées dans une terre propice, alors que dans les faits, on ne recherche que le bout manquant pour permette d'accéder à l'autonomie sous le signe du succès.
Pour anesthésier cette douleur devant l'évolution de l'Éducation des adultes des dernières années, j'ai pensé qu'il serait louable de me commander un APO parce que vraiment, Jean accusait un retard, ce qui n'est pas dans ses habitudes !
C'est alors que je vis arriver, bras dessus, bras dessous, un joyeux trio plutôt bruyant : Alain Mercier, Carole Bougie et Jean Roy. Le sourire plein la figure, ils venaient annoncer les développements du site de la DFGA (Direction de la formation générale des adultes), incorporant les programmes d'études, les hyperliens avec des sites répondant aux objectifs des programmes. En incorporant les nouvelles technologies de l'information et des communications à l'apprentissage des adultes, on sera davantage capable de répondre aux différentes façons d'apprendre de ceux-ci, me dit Carole. Alain m'affirma qu'il n'était nullement question de dupliquer l'éducation des jeunes chez les adultes : on respectera les façons d'apprendre des personnes. Fier de lui, Jean commanda des APO pour tout le monde : = Garçon, du scotch !
Au même moment, Jean-Paul Dallaire s'est amené avec la déclaration de Hambourg sous le bras. Il la savait par coeur, voulait la raconter à monsieur Mercier ou madame Marois et s'apprêtait à l'illustrer sur son site internet consacré à l'éducation. Quelque part derrière, discret, mais combien actif, suivait Yvan Durnin, rouge de colère, parce qu'il voulait, lui, insérer cette même déclaration, dans le site de la Littérature québécoise de Cyberscol à la rubrique du rêve poétique politique.
La tête me tournait un peu, moi, si peu habitué aux APO. C'était la faute à Jean, évidemment ! Et, d'APO en APO, du scotch à Jean à la point 5 d'Alain, j'ai tenté de retrouver mes esprits. Noyer le passé, faire nôtre le présent. La nostalgie de l'ÉAD, de la DGEA, du SOE, ça attire les larmes, mais ça ne mène à rien. Le fier panache blanc-bouclé d'Alain Mercier, avec dans sa poche, une politique de formation continue qui viendra peut-être, si le gouvernement en a le temps...; le sourire convaincu du moulin à inventer les idées de Jean Roy, idées qui se font parfois attendre, faute d'oreilles pour les entendre ou de neurones pour leur ouvrir la voie; le coeur éclaté de Carole, entre les attentes de la TNE, les besoins d'Alain et la vision de Jean, ajoutés aux congressistes qui défilaient toujours sous mes yeux, les bras chargés de prospectus, m'ont convaincu que ma sensiblerie du temps passé ne pouvait que bercer ma mémoire. Le temps présent est tout autre.
C'est Jean-Paul Dallaire et sa déclaration de Hambourg qui ont raison. Il faut raviver l'éducation des adultes. Et, cela ne viendra jamais plus du ministère de l'Education. Et, il a beau jeu, le ministère de l'Education ! Même en refermant l'enveloppe budgétaire de l'Éducation des adultes, même en resserrant les cordons de la bourse, il y a toujours des argents non utilisés : les adultes fréquentent de moins en moins.
Pourtant, les théoriciens se gargarisent de la notion de l'apprentissage tout au long de la vie (lifelong learning), du droit à l'apprentissage permanent (Delors), de la réponse aux besoins et aux objectifs des gens... Peut-être faudrait-il s'y mettre et cesser de penser aux objectifs des programmes d'études officiels. Pour qui l'éducation ? Peut-être faudrait-il vulgariser la connaissance, la colère à la réalité des gens, la rendre attrayante, attirante, que d'attendre que ceux-ci rampent jusque dans les centres. Peut-être faut-il d'abord démolir l'image répulsive (pour plusieurs) de l'école secondaire, de ce qu'est l'apprentissage. Peut-être les connaissances sont-elles comme des virus ou des bactéries qui infestent l'atmosphère de notre quotidien et ne frappent que lorsque le terrain est propice. C'est peut-être là le rôle de l'éducation des adultes, rendre le terrain propice... Peut-être que les formateurs (je persiste, formateurs ou consultants et non enseignants), comme les médecins, pourraient formuler des diagnostics et remèdes conséquents plutôt que de donner des cours savants sur la morphologie, l'éthologie, la génétique et la propagation de la grippe et du virus.
Améliorer la qualité de l'Éducation des adultes ne dépend que de nous. Il ne faut pas attendre le ministère de l'Éducation. Les belles années sont derrière. Il fait le travail que l'on attend de lui, à bout de bras, avec les rares ressources qu'on lui consent. Il faut prendre notre place dans les commissions scolaires même là où l'Education des adultes est un service parmi d'autres (quand c'est un service). Même si le mandat est parfois de produire des surplus qui serviront à équilibrer les déficits jeunes; il n'y a que très peu à attendre des universités où l'on tombe en bas de sa chaise lorsqu'il est question de passer de la théorie à la pratique non normée.
Ce sont les participants, les bras chargés de prospectus et personne d'autre, qui redonneront sa spécificité à l'Éducation des adultes. Ils ont les connaissances techniques permettant d'ouvrir toutes les portes. Pourvu qu'ils aient aussi la vision. Quand les connaissances seront rendues attirantes, accessibles et amusantes, on parlera d'Éducation des adultes... et pourquoi pas aussi, d'Éducation des jeunes.
Mais, les jeunes, auront toujours des périodes adolescentes pénibles à vivre, de sorte qu'on en reverra toujours, et même, de plus en plus. Et des vieux aussi : la retraite, c'est pas le cimetière; ils peuvent poursuivre leur carrière d'humain encore un bout de temps avant que d'être carrière de pierres tombales. Et les chômeurs, et les gens ordinaires qui veulent réorienter leur carrière, et ceux qui voudraient partir leur entreprise, vivre de leurs talents, à leur goût, à leur rythme, et les immigrants-allophones-avant-d'aller-se-réfugier-dans-leur-ghetto-linguistique, et les jeunes qui ne peuvent plus supporter l'horaire de la première période de 8h43 au 9h29, avec l'autobus scolaire, les délinquants, l'obligation de couvrir le programme avant que de se parler, de se connaître et de rire ou de vivre, même si le professeur avait son auto qui ne partait pas ce matin, ou qui était en congé syndical ou qui avait mal aux dents... Tous ces jeunes, ces vieux, ces êtres vivants que l'école a fait suer (mais, cela il ne faut jamais le dire, c'est laid, pernicieux, impoli et surtout très faux !) Et qu'on ne récupérera jamais à moins d'inventer un apprentissage qui les mène à la vraie vie, dans la vie. La démocratisation de l'éducation, c'est pas d'obliger d'aller à l'école jusqu'à seize ans, c'est de rendre l'apprentissage accessible à tous, c'est de développer les potentialités de toutes les personnes. De grâce, rendez l'apprentissage intéressant. Si on n'y réussit pas à l'AQUOPS, c'est qu'on se sera rendu au quai uniquement pour voir passer les bateaux !
J'ai pris un autre APO avec Jean.
Directeur,
Éducation des adultes et formation professionnelle,
Commission scolaire des Patriotes
Membre de la Table nationale en Édumatique.
Note 1 : j'ai connu beaucoup de formateurs d'adultes, tels Léandre, Daniel, la Doune et combien d'autres qui sont de véritables maîtres.
Note 2 : dans le texte, le masculin s'applique au féminin.
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